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mardi 7 mai 2013

Le papé


Le papé" de Yolande Vercasson.:

Le Papé : "Il se tenait assis tout au bout de la table, Et nous impatientait souvent par sa lenteur. On le voyait si vieux, si courbé, pitoyable, Que l’amour peut à peu cédait à la rancœur. Je le suivais partout ! C’était là, dans ma tête ! Il me suivait des yeux lorsque je travaillais, Proposait de m’aider, maladroit, l’air tout bête ! Il gênait nos projets, notre vie, le papé ! Au bout de quelques temps, prétextant les vacances, Je le menais plus haut, au flanc du Luberon, « Tu seras bien là-bas.
Tu verras la Durance, Du haut de la terrasse de la grande maison. Ces maisons-là, papé, sont faites pour les vieux. Regarde comme ils semblent bien, ils ont l’air très heureux ! » « Comme tu veux, petite, si c’est pour ton bien-être. Monte de temps en temps, le dimanche peut être ? » Je l’ai laissé tout seul, vivement, pas très fière. L’air était encore chaud, pourtant je frissonnais, Et le chant des oiseaux voletant sur le lierre, Me disait doucement : « Qu’as-tu fait du papé ? » Les jours se succédaient, je cherchais la quiétude, Le travail me prenait, j’essayais d’oublier, De noyer mes regrets au fil des habitudes, Les souvenirs d’antan rappelaient le papé.
Même dans le mistral qui rasait la garrigue, Pour venir s’écraser au butoir de la digue. J’entendais cette voix qui ne cessait jamais, De dire à mon oreille : « Qu’as-tu fait du papé ? » Chaque brin de lavande, de thym, de romarin, Me reprochait sans fin l’absence de l’aïeul. Le murmure des sources dans le petit matin, Chantait sur mon cœur lourd des cantiques de deuil.
Le remord lentement s’installait dans ma vie. Je revenais m’asseoir ou il s’était assis, Sur le banc de vieux bois, près du puits, sous le chêne, Et je laissais errer mes pensées sur la plaine. Alors, je l’ai revu, avant, lorsqu’il marchait, Jusqu’au seuil de l’école, pour venir me chercher. Je sautais dans ses bras, je l’embrassais, tout doux, Et nichais tendrement ma tête sur son cou. Il me portait un peu, puis, ma main dans sa main, Il ajustait son pas pour bien suivre le mien.
Il m’expliquait les bois, les cabris, les moutons, Les abeilles dorées et les beaux papillons. Il cueillait aux buissons des réserves de mûres, Et m’offrait les plus grosses comme un présent de choix. Il riait bruyamment en voyant ma figure, Barbouillée des reliefs de ce festin de roi. Le soir près de mon lit, il venait me bercer, De chansons provençales, d’histoires de bergers.
Je m’endormais heureuse de sa chaude présence, Pleine de rêverie, d’amour, de confiance. Au long des souvenirs, mon cœur plein de pitié, A trouvé le repos. J’ai repris le sentier, Pour revenir tout droit à la grande maison. Retrouver le papé, lui demander pardon.
J’ai pris tout simplement sa main, sans rien lui dire. Une larme brillait au milieu du sourire. Et c’est moi, cette fois, tout au long du chemin, Qu’ajustais mon pas, pour bien suivre le sien. Un papé c’est précieux, c’est tant de souvenirs ! Si vous en avez un, jusqu’au bout de vos jours, Gardez-le près de vous.
Quand il devra mourir, Vous fermerez ses yeux dans un geste d’amour. Aujourd’hui, par hasard, si le chant des cigales, Me pose la question tant de fois redoutée, Je peux, le cœur tranquille, en digne Provençale, Répondre fièrement : « Il est là, le papé »

 

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